Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/03/2016

KR'TNT ! ¤ 272 : BRETT SMILEY / NINA ANTONIA / CRASHBIRDS / HOWLIN' JAWS / BARNY AND THE RHYTHM ALL STARS / HEAVY METAL / LANGSTON HUGHES / W. C. HANDY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif
LIVRAISON 272

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

10 / 03 / 2016

 
BRETT SMILEY / NINA ANTONIA

JOHNNY THUNDERS

CRASHBIRDS / HOWLIN'JAWS

BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

HEAVY METAL

LANGSTON HUGHES / W. C. HANDY

 

SMILEY SMILE

a9434dessinbrett.gif


Brett Smiley est mort deux jours avant David Bowie. Ils présentaient de sacrés points communs : on avait là les deux plus beaux glamsters des années soixante-dix. Ils étaient tous les deux beaux comme des demi-dieux felliniens - But Smiley made Ziggy look like a bricklayer - Ils écrivaient leurs propres chansons et le monde semblait leur appartenir, tant il est vrai que le monde appartient aux âmes conquérantes.

L’un est passé à la postérité, l’autre a sombré dans l’oubli. Bowie est mort adulé par la presse people et Brett n’a eu pour seul et unique éloge funèbre qu’une info relayée par quelques connaisseurs avisés. Bowie a rempli les poches de la presse bon chic bon genre et Brett a rejoint sa place naturelle : le néant.

Brett Smiley est passé complètement inaperçu dans l’histoire du rock anglais. Cet Américain ramené à Londres par Andrew Loog Oldham aurait pu plaire au grand public. En tous les cas, il réussit à plaire à Nina Antonia. Elle ne le vit qu’une seule fois à la télé, dans les années soixante-dix. Il chantait «Space Age». Cette gamine de Liverpool se passionnait alors pour les New York Dolls. Brett la fascina au point qu’elle allait lui consacrer un livre. Et quel livre ! C’est un véritable tour de force, puisqu’elle n’a quasiment rien à dire sur Brett Smiley. Il n’existe même pas d’album officiel, à peine une petite compile sortie chez RPM et déjà épuisée. En tous les cas, pas de quoi construire une biographie, au sens où on l’entend généralement.

a9436book.jpg

Mais ce petit livre vous envoûtera. Nina y raconte sa propre histoire, en parallèle avec celle de Brett. Curieusement, l’histoire de Nina se révèle mille fois plus passionnante que celle de Brett qui est l’histoire classique d’un raté du rock qui descend aux enfers. Quand on entre dans ce double récit, on passe par ces stades divers que sont la consternation (oh la pauvre, elle n’a rien à dire, alors elle nous barbe avec ses souvenirs d’enfance), le rejet (en plus elle se croit drôle avec ses anecdotes familiales, alors qu’en Angleterre, c’est d’une effarante banalité), la colère (oh mais cette histoire de Brett Smiley, c’est une véritable arnaque, puisqu’il n’y a pas d’histoire), la stupéfaction (elle étire ses phrases pour grossir ses paragraphes, non mais regardez-moi ça, c’est du corps 14, une daube pareille, on l’écrit en huit jours !), pour finir par la fascination, car Nina nous raconte de quelle façon sa propre vie a basculé. Et là, on ne lâche plus la seconde moitié du livre. C’est un véritable coup de maître.

C’est un livre-rateau-qu’on-prend-dans-la-figure. Il se trouvait dans l’herbe, on ne le voyait pas, on a marché dessus et paf, le manche en pleine gueule. C’est un procédé qu’avait utilisé Flaubert pour «Madame Bovary», mais en fin de récit.

Nina était foutue. Elle avait quitté sa conne de mère pour aller vivre avec un certain Justin. Amoureuse, tout bêtement. Justin se voulait écrivain, mais il n’arrivait à rien. En prime il disparaissait des semaines entières. Cette pauvre Nina tolérait ça. Comme dans un mauvais roman de Zola, elle se fit engrosser et mit au monde sa fille, Bella Donna. Pourquoi Bella ? Parce que Justin avait deux idoles, Bela Lugosi et Jim Morrison. Bien sûr, le ménage n’avait aucune ressource et les avis d’expulsion se succédaient. Justin disparaissait parfois des mois entiers. Elle n’osait pas poser de questions. Elle ne se préoccupait que d’une chose : nourrir sa fille. Comme elle admirait Johnny Thunders, elle commença à écrire quelques pages, qu’elle envoya chez des éditeurs. Un grenouilleur des bas étage installé à Portobello la fit venir pour lui expliquer que Johnny Thunders, ça ne valait pas un clou. Elle ressortit complètement démoralisée de son rendez-vous et alla traîner dans la rue. Elle stoppa net devant la vitrine d’un disquaire. Au fond de la pièce trônait un poster de Johnny Thunders. Elle fit des pieds et des mains pour avoir le poster, mais il n’était pas à vendre. Pour la consoler, le vendeur lui sortit du bac un EP des Heartbreakers qui venait de sortir. Elle rentra chez elle en miettes. Puis elle vit les flics embarquer Justin. Un commissaire de police finit par lui expliquer que Justin était déjà marié ailleurs et qu’il profitait de plusieurs sources d’allocations pour financer sa méthadone. Nina descendit aux enfers, mais le patron de Jungle Records, où elle était entrée pour demander le poster, réussit à la contacter pour lui dire qu’il voulait absolument voir ce qu’elle écrivait sur Johnny Thunders.

a9440thunderbook.jpg

Une fois arrivé au fond de l’abîme, alors qu’aucun espoir n’est plus permis, il arrive parfois qu’une petite lueur apparaisse. Le sel de la vie ? Allez savoir. En tous les cas, une chose est sûre, on ne vit que deux fois.

Du coup, ce petit livre «rock» raconte deux histoires dont l’une est fascinante, celle de Nina Antonia, bien sûr. Mais en même temps, elle nous sert Brett Smiley sur un plateau d’argent. On est aux antipodes de ces pseudo-bios rock écrites par des journalistes, celles qu’on voit garnir les rayons chez Smith. On peut parler ici de littérature. Oui, Nina Antonia navigue à un autre niveau. Comme Houellebecq, elle met de la viande dans son livre, et c’est la viande de sa vie. Du coup, c’est elle la rock star. Elle a la puissance et le souffle des grands écrivains de langue anglaise. On pense évidemment à Thomas Hardy qui fut le chantre des destins brisés - crac, comme la branche qu’on brise sur le genou - Mais Nina est encore plus forte que le vieux moustachu, puisqu’elle ressuscite en livrant d’un coup deux élégies sublimes, la sienne, celle de Brett et même une troisième puisqu’on assiste en direct à la gestation du Johnny Thunders qu’elle commença à écrire avec RIEN, dans la pire des situations. À ma connaissance, personne n’avait encore réussi un coup pareil.

a9435breathless.jpg

C’est vrai qu’on passe un peu à travers l’histoire de Brett Smiley, mais par contre, on ne passe à travers ses chansons. Si on apprécie le glam, on se régale. Ce disque sorti chez RPM est stu-pé-fiant de qualité. On ne comprend pas que l’association de deux surdoués comme Brett et Andrew n’ait pas fonctionné. Les morceaux de Brett Smiley sont tout simplement désarmants de classe et de qualité. On a là du glam musclé à outrance, l’archétype du Swingin London des enfers du paradis. L’une des photos de la pochette attire l’attention : avec son petit regard en coin, Brett a un faux air de Brian Jones jeune. Et ça va commencer à chauffer très sérieusement avec «Space Age». Brett y vise la belle aventure cosmique - Outside the space age - Son «April In Paris» ne doit rien à celui qu’on connaît tous. Il y vise la perversion glam maximale, il vise l’excellence du mijauré, et il faut voir comme c’est tendu, serré, dense, coloré, produit, raffiné et enjoué, nettement plus impressionnant que les chansons d’«Hunky Dory», car on y retrouve une ambition harmonique démesurée qui évoquerait bien celle des Easybeats. Avec «Solitaire» (une compo de Neil Sedaka), on atteint une sorte de nadir, car la voix pure de Brett se noie dans l’ouate humide du mix, avec un rendu voluptueux. On pense à une sorte de prélassement dans des draps pas bien nets et à l’anti-extase malsaine de fins de nuits dangereuses. Brett chante avec la voix d’un agneau de lait et il atteint à une sorte de splendeur stoïque, fascinante de véracité. Il brille d’un éclat faible dans l’écrin d’un certain dévoiement, celui d’un backstage de boîte de traves : vous ne savez sans doute pas à quel point on y vénère Piaf et la beauté pure. Il enchaîne avec un «Va Va Va Voom» absolument dévastateur. Pourquoi «Va Va Va Voom» n’est pas devenu un hit mondial, on ne le saura jamais. Le cut se dote de toutes ces gares où transitent les plaisirs de sens. Steve Marriott y joue des riffs exacerbés. On reste au royaume du glam avec «Run For The Sun». Brett y pousse des ah de janissaire - I wanna I wanna - dans l’enfer d’une orchestration outrancière à la Oldham. Il tape même dans le Wanna Hold Your Hand des Beatles, c’est joué à la grosse attaque, quasiment à la Ronson, avec des clap-hands à la volée et Oldham gave le cut de son comme une oie. On retrouve quasiment les mêmes ingrédients dans «Pre-Colombian Love», mais encore une fois, tout est bien sur ce disque.

Quand on sort du disque, on retourne au livre pour relire quelques passages, et se replonger dans ces portraits extraordinaires, comme par exemple celui d’Andrew Loog Oldham - Still in his late twenties, he was iceberg cool - qui débarque à Detroit pour produire un groupe Motown appelé Sunday Funnies. C’est là qu’il va rencontrer Brett. Le parallèle avec Mickie Most est flagrant, car c’est aussi de passage à Detroit qu’il découvrit les Pleasure Seakers et donc Suzi Quatro qu’il réussit à convaincre de revenir avec lui à Londres SANS les autres filles du groupe. Nina raconte qu’à ce moment-là, Oldham venait de faire faillite - By the time he showed up in Detroit, Oldham’s office consisted of his briefcase - Mais ça ne l’empêcha pas de tout miser sur Brett qu’il emmena enregistrer à Nashville et au Record Plant, à New York. Puis après la parution du single «Va Va Va Voom», Nina raconte qu’Andrew et son chauffeur sillonnaient Londres pour aller déposer le single chez les disquaires - The white Mercedes did the rounds of the record shops, as he personnaly checked stocks of the 45 in London - La Mercedes fantôme fait plusieurs apparitions dans ce récit, et on sent chez Nina le souffle littéraire d’un MacOrlan. Elle fait d’ailleurs énormément de clins d’yeux à de grands auteurs - Beautiful Brett could evoke both Zelda and F. Scott Fitzgerald - mais aussi Oscar Wilde, ce qui semble logique quand un personnage comme Andrew Loog Oldham rôde dans les parages. Andrew traîne Brett dans tous les clubs de Londres - the boss and the blonde - mais Brett souffre d’inconsistance chronique - The best he could hope for was obliteration in a bottle of Johnnie Walker - Andrew demande à Mankowitz (célèbre pour la pochette de Between The Buttons) de faire le portrait de Brett et Nina en profite pour saluer la mémoire de Brian Jones - an enviable young man about town, with no hint of the nightmares to come, save for his prematurely aged eyes - Et c’est ce portrait de Brett par Mankowitz qu’on voit sur la pochette de la compile RPM. Et puis un jour, lassé d’attendre la parution de son album, Brett appelle Andrew pour lui dire qu’il en a assez - It was incomprehensible how quietly it ended - C’est là que Brett va faire la seconde grande rencontre de sa vie, l’héro. En parlant des Heartbreakers, Nina fait part de sa réticence à adhérer à ce culte de l’héro qu’incarna si bien Johnny Thunders - In this bitter new season of death defying machismo and heroin fetichism I secretly missed glam - Ce qui nous conduit à l’un des sommets de ce petit livre, les deux trois jours que passe Nina avec Johnny Thunders qu’elle est chargée d’héberger chez elle.

a9441photojoh+nina.jpg

Oh, il n’y a rien de dramatique dans ces quelques pages, mais au contraire des passages assez hilarants. Elle doit aller le récupérer dans un hôtel. La chambre est dans un état terrifiant et des seringues traînent partout. La seule solution est de partir discrètement. Mais il y un escalier à descendre pour sortir - Momentarily distracted while he lit a cigarette, Johnny let go the case which noisily clattered down the stairs at high speed, narrowly missing an elderly couple - Quand Nina doit aller faire des courses au supermarket, Johnny l’accompagne - I just hadn’t expected that he’d go to the supermarket in his pyjamas - Fantastique évocation d’un beau souvenir. C’est là où on reconnaît les vrais auteurs. Elle termine ce passage avec un hommage vibrant - By 1986 Johnny Thunders was already an anachronism. He existed beyond the music business establishment, was an exile, an outsider, the last son of true rebel culture - Et la fin du livre plaira beaucoup aux âmes sensibles.

a9439nina.JPG

La bibliographie de Nina Antonia comprend les deux ouvrages définitifs sur les New York Dolls et Johnny Thunders, ainsi qu’une fascinante bio de Peter Perrett.

Signé : Cazengler, brett épaisse

Brett Smiley. Disparu le 8 janvier 2016

Brett Smiley. Breathlessly Brett. RPM Records 2003

Nina Antonia. The Prettiest Star. Whatever Happened To Brett Smiley ? SAF Publishing 2005

a9437lostalbum.jpg

 


05 / 03 / 2016 / MONTREUIL

LE CHINOIS

CRASHBIRDS / HOWLIN' JAWS

BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

a9458affiche.jpg


Silence absolu. Pas un mot. Manifestement elle fait la tête. J'essaie de parlementer : « Sûr hier, l'on a avalé mille kilomètres sans s'arrêter, et les flocons de neige qui tournoient autour de nous, ce n'est pas très engageant, mais enfin ce n'est pas très loin, juste quatre-vingts bornes, d'habitude tu roucoules de plaisir ! » Rien, elle ne répond pas. En règle générale les meufs renfrognées qui ne mouftent pas et qui jouent les mijaurées, je leur apprends à sourire à grands coups de satons dans le buffet, mais là ce n'est pas pareil. Celle-là je l'aime. Heureusement la psychologie féminine n'a pas de secret pour moi, j'adopte ma perfide voix numéro 4 de bellâtre énamouré : «  Tu sais chérie, c'est important pour moi, trois groupes, et pas des chiffes molles qui gobent les mouches – là je glisse l'argument - tomahawk percutant - culpabilisateur – moi qui croyais te faire plaisir en t'emmenant à un concert de rock'n'roll ! » Le détonateur choc, irrésistible. Alors que pour la cinquante-troisième fois, en désespoir de cause, je tire sur le starter, le moteur de la meuf-meuf mobile pousse un rugissement de tigre, sous le capot pistons et cardans hululent comme les cadrans des douze pendules de Théodule.

C'est parti pour Montreuil, direction Le Chinois. Local qui pour une fois porte bien son nom. Suffit de traverser la rue pour chiner à votre guise sur les stands brocante vintage et création réunis sous la halle à côté de l'exposition de motos autour desquelles nous retrouvons comme par hasard les membres des Loners de Lagny-sur-Marne... Les chinoiseries s'enchaînent, Mister B and I sommes réquisitionnés d'office, comme au bon vieux temps des colonies et des coolies sur le port de Shangai, pour transporter le matos des Howlin' Jaws.


CRASHBIRDS

a9492deux.jpg

Sont sur scène. L'on a déjà eu un petit aperçu sonore qui nous a mis en appétit puisque l'on a eu la chance d'assister à la fin de leur balance. Mais maintenant, ça balance encore plus dur. Ne sont que deux sur le plateau, mais ne craignez rien. Ils assurent comme des aigles royaux. Pierre Lehoulier est à la lead guitar, cheveux sur les épaules, barbiche en pointe méphistophélique, à moitié assis sur son tabouret. Delphine Viane est à la guitare acoustique, debout devant le micro. Pas de batterie, Pierre s'en charge, martèle du pied les caisses amplifiées disposées devant lui.

a9491assiscouleur.jpg

Pierre n'a pas touché ses cordes qu'une rythmique d'acier embrase l'air. C'est Delphine sur son acoustique qui nous assène ses tringles de fer sur le dos. Comment fait-elle avec son acoustique dont elle a operculé la bouche ? Y a sûrement un delay sous rocke dans l'ampli, en tout cas, ça cartonne sec. Et lorsque Pierre s'en vient tresser une mèche fumante de dynamite dans le siroco brûlant qui se lève, vous avez intérêt à courir vers les abris. Trop tard. Delphine n'a pas dit son dernier mot. D'ailleurs c'est dès qu'elle prononce le premier que votre cœur s'affaisse. Belle, grande, tenue noire qui accentue la blancheur de son teint, chevelure aux reflets de feu, walkyrie wagnérienne dans ses bottes, de son corps irradie une fabuleuse puissance de guerrière invincible. Ce n'est pas la force qui est avec elle, c'est la voix. Une voix qui domine le tumulte des guitares. Même lorsqu'elle s'éloigne du micro. Ne crie pas, ne hurle pas, elle clame le blues. Peut tenir une note très longtemps sans s'essouffler, et puis monter encore plus haut sans se briser dans le cristal des aigus en bout de course.

a9493delphine.jpg

Pierre est à la forge, sa jambe est comme indépendante de sa volonté, marque le rythme, scande les cadences démoniaques, mais son attention est ailleurs. Sur sa guitare. Lui il sourit. Ce sont ses doigts qui travaillent. Ils suent le gros blues qui tue. La lie grasse du delta et la hargne du Texas. Plus la saleté métaphysique de la vie. L'en sort un gros son de rock et de roll graisseux, le big beat que rien n'arrête. Vous êtes toujours surpris de la fin du morceau. L'on n'étrangle pas un crotale, on le décapite d'un coup de caillou meurtrier. Delphine fait semblant de chercher un accord pendant que Pierre talque sa main gauche, poudre blanche et volatile, les seuls moments de candeur du set, qui repart inexorablement.

a9488couleurs2.jpg

Le blues inextinguible, le rock intraitable, pas de fioriture, des modulation de fréquence post-mortem et traumatologiques, difficile de choisir dans ce couple démoniaque, si vous restez fixé sur le jeu de Pierre qui passe ses longs solos comme d'autres descendent en radeau les Missouri breaks, vous perdez de vue Delphine qui rabat le rythme sur ses cordes implacables sans oublier de laisser tonner sa voix parmi le déluge.

a9485pierre.jpg

Un rock dur, violent sans concession, qui ne vous laisse pas respirer une demi-seconde. Toute la noirceur du monde qui vous tombe dessus, la voûte d'une mine de charbon qui s'écroule sur vous et vous engloutit. Les choses noires, informes et infâmes que vous tenez sous clef au fond le plus secret du coffre-fort de votre âme se réveillent et s'agitent. Dans les tourbières de vos cauchemars remontent les vases putrides des désirs inavouables. Crashbirds plane sur vous telle la menace hideuse de ptérodactyles affamés. Dans la salle hypnotisée plus personne ne bouge, un set fascinant, cassant comme une arrête de silex qui détient dans ses entrailles l'incendie sacré.


INTERMEDE 1

Les Crahsbirds quittent la scène sous des applaudissements nourris. Ont convaincu et forcé le respect de toute la large partie des personnes présentes qui ne sont pas des adeptes inconditionnels de leur rock noir. Me précipite pour acheter leur disque que je vous chroniquerai la semaine prochaine. La suite est un peu fatigante. Les danseurs s'emparent de l'espace. Virevoltent sous les flonflons d'une musique tonitruante. Préfèrerais un peu de silence qui permettrait d'échanger. Une éclaircie, les Howlin' montent sur scène, juste pour les réglages. Très rapides. En moins de dix minutes, ils expédient la balance et disparaissent dans les coulisses. Mister B me regarde avec commisération, cette manière d'envisager le rock comme une danse de salon, nous désole. Et c'est reparti pour d'interminables tours de piste...


HOWLIN'JAWS

a9465 jivanpenché.jpg

Meilleurs à chaque prestation. Le public a doublé. Notre deuxième constatation nous paraît être la conséquence logique de la première. J'ai de la chance, suis placé tout devant l'estrade, juste sous le manche de la guitare de Lucas, si par hasard il m'avait d'un geste inconsidéré mais fatal fendu l'occiput je ne l'aurais point regretté. A quitter ce monde autant que ce soit en un concert de braise.

a9468les2trèsbeaux.jpg

Le triangle maudit des Howlin' est fin prêt. Djivan a même changé sa chemise hawaïenne à fond noir qu'il arborait jusques à lors par le sweatshirt rayé réglementaire. Dans l'excitation, certains – je ne donnerai pas les noms – ont oublié de se coiffer de leur célèbre couvre-chef à hélice. Ne leur aurait pas été d'un grand secours car ce soir ils ont adopté l'allure des turbo-jets.

a9475dji+batt.jpg

Non, vous n'avez pas mis les doigts dans la prise, ce sont les Jaws qui ont électrifié votre chaise. Le rockab comme je l'aime, un peu garage, un soupçon vintage, et une coloration sixties qui en fait des tonnes. Ce soir il est manifeste que les Howlin' ont envie de mordre. Baptiste est dans l'angle, pas le mort, le vif. Tout à l'heure quand Lucas aura cassé une corde et que Djivan se lancera dans un mid-tempo hillbilly, il psalmodiera dans son micro une espèce d'imitation de scat trombone qui arrachera des cris de joie à la foule. Mais sinon, servira à ses deux complices un tapis volant de peau de tambour qui leur permettra de se laisser glisser sur ce coussin d'air gonflé à l'hydrogène explosif comme s'ils empruntaient les toboggans de l'Enfer.

a9469djivanécart.jpg

Pantalon rouge pour Djivan et grosse mama en sa robe de bois teintée de chêne astrakan blanc, se penche sur sa hanche mais ne la culbute point, l'est un gentleman, ne la tape pas, ne la tabasse pas, ne la slappe pas, par manque de temps, la paume de la main en crochet jamais totalement ouvert, il tire les cordes, juste ce qu'il faut, caresse sans cesse répétée pour produire ce son de fond dont il sculpte de sa main droite tout le long du manche de fulgurantes modulations. L'est aussi chargé du chant, ni gras, ni guttural, qui coule de source, jaillissant et rebondissant à profusion.

a9474beleddiie.jpg

Lucas le lynx n'est plus que la partie émergée de sa guitare. L'est tant dans son jeu qu'il semble que les rôles sont inversés et que c'est l'instrument qui joue du guitariste. L'a ensorcelé, n'est plus qu'un zombie hypnotisé qui exprime des émotions qui lui sont communiquées par des vertus chamaniques dont la compréhension nous échappe. Lucas est devenu l'esprit animal qui vibre selon des inflexions venues d'ailleurs. L'est le félin sauvage qui s'est incarné en lui. Possédé par une force qui le submerge, avance, recule, par mouvements saccadés, qu'il ne maîtrise plus, descend dans la foule, remonte sur scène, faut voir son visage, les émotions qui circulent sous sa peau et modèlent l'apparence de sa chair. L'est traversé par des haines extatiques, des foudres de fierté, des abîmes de surpuissance nietzschéennes, des furies de tendresses et des houles de perversion. N'est plus Lucas, l'est la bête totem du rock and roll, la plénitude royale du guépard, le sourire carnassier du glavial embusqué.

a9466guitarbeau.jpg

Les Howlin' se sont surpassés. Dans la salle, c'est le grand frisson.

 

INTERMEDE 0

Nous échappons au supplice chinois. Doit exister un dieu des rockers quelque part dans l'empyrée, point d'exhibition de danseurs ! Juste le temps aux Howlin' de dégager leur matériel que déjà les Stars du rythme occupent le tableau. Ouf !

 

BARNY AND THE RYTHM ALL STARS

a9464batteur.jpg

Sont tous là. Pedro Lena au fond derrière les drums, Claude Placet sur notre droite, Renaud Can sur notre gauche, tourné vers sa contrebasse de laquelle nous ne voyons que le dos. Moment d'émotion et longue ovation, ce n'est pas Carl, mais Barny le fils. Le temps n'est pas aux regrets. Mais à la ferveur.

a9478barn+micro.jpg

Tous les yeux sont rivés sur Barny, classe innée, une impression de force sereine, mais l'on devine la lave qui bouillonne à l'intérieur, red blue jean and tunique blanche à liserets rouges, guitare haute, tenue près du cœur, manche tendu droit telle une bôme d'artimont qui incline et fasèye notre attention. Brutalement comme la coque qui coupe à la lame, Guitar Picker en introduction, titre culte et symbolique du rockab, rythmique cochranesque et envolée de l'orchestre.

a9477barn+bassface.jpg

Ce n'est pas que les autres ne font rien, c'est que Barny fait tout. Comprenez-moi bien, les Rhythm sont inimitables, irremplaçables, une des meilleures formation du pays. Et de bien d'autres endroits aussi. Chez ces All Stars, tout est parfait, un batteur qui a un jeu d'une complexité imaginative comme l'on en voit peu. Semble toujours vouloir se prouver qu'il peut encore faire mieux, plus sec, davantage sur le temps et un écho encore plus plein, une perfection qui cherche à se dépasser.

a9463belle.jpg

Ne regardez pas le guitariste. Vous allez en crever de jalousie. L'a cette placidité des gens qui sont sûrs d'eux-mêmes. Le geste chirurgical. Ni trop, ni moindre. Déplace le petit doigt et ça suffit pour changer la face du monde. Un pilier que le doute n'ébranle pas. Comprend à la seconde ce que les autres lui demandent. L'en a un petit côté protecteur, veille sur le gamin comme sur la prunelle de ses yeux.

a9480toisposes.jpg

Malgré ces deux chênes séculaires à ses côtés, Renaud n'a même pas peur. L'insuffle le groove, cette mobilité qui donne le souffle et permet les grandes foulées. L'huile dans les rouages et l'essence dans le moteur. Impose la cohésion et emporte les galops. Les Rhythm c'est la machine gagnante de la formation rockab par excellence. Même les ricains de Wild Record s'en étaient aperçus.

a9481barncouché.jpg

Barny aurait pu se contenter de l'héritage. Se prélasser sur le siège arrière et laisser les trois soutiers continuer leur boulot habituel. C'eût été trahir l'esprit de Carl et peut-être même se renier soi-même. Barny a repris le micro et la rythmique, mais avec cette envie folle de continuer en allant plus loin, plus vite, plus fort. Et derrière lui, l'on a compris non pas le challenge, mais la nécessité d'avancer encore et encore. Avec Mister B l'on a déjà vu les All Stars plusieurs fois, mais nous ne les avions jamais entendus jouer avec une telle vélocité, un tel impact.

a9484barnseul++++++++++.jpg

Barny leur a communiqué sa fougue, sa jeunesse, se hargne. Reprend les titres de Carl, plus ceux qu'il avait écrit pour lui, plus les nouveaux pour le prochain disque. Très symbolique ce Run Away adressé à Carl, cette course folle en avant vers d'autres pâturages, d'autres passages.

a9459barny3-4.jpg

Ce fut une folie totale. Young and Wild, I Got the Bull by the Horn, Crazy Beat, Slipped my Mouth, chaque titre au fer rouge, Barny survolté, porté par la salle elle-même transportée par sa puissance vocale. Rien à voir avec un tour de chant classique, plutôt une ordalie initiatique vite devenue collective, Barny, le Rhythm All Stars, et le public. Un instant magique et important. Une renaissance.

Deux rappels, un triomphe, une soirée pas tout à fait comme les autres.

RETOUR

La Teuf-teuf nous ramène au bercail. «  Putain ! Je ne regrette pas cette soirée » laisse échapper Mister B après un long silence. Il est inutile de rajouter autre chose.

Damie Chad.

( Photos sur FB CRASHBIRDS ne correspondent pas au concert

Photos HOWLIN' et BARNY de SERGIO PHOTOSTOCK )

*


De loin c'est beau comme le missel des dimanches de Tante Ursule. La couverture n'est pas en cuir – nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle – mais c'est relié de fort carton presque aussi épais que le blindage d'un char Sherman. Y en a toute une pile rutilante sur le comptoir du libraire. Un format qui appelle la main ( je n'ai pas dit chapardeuse ) et l'éclat du neuf. Mazette ! C'est du sérieux ! L'Intelligence Artificielle et L'Univers, pour les deux premiers titres. Tiens c'est une série. Le nouveau Que Sais-je ? Le troisième volume un tantinet plus accrocheur. Les Requins. Le livre qui vous dévore ! Déjà mieux que les gentils dauphins ! J'ouvre le quatrième et pousse un cri d'horreur. Le même que celui dont s'égosille le personnage aux longs cheveux noirs et sales sur la couverture. Erreur sur toute la ligne ! Ce n'est pas un livre pieux mais un grimoire sataniste. Un livret belzébutique, le bréviaire des pèlerins du Hellfest.

 

LE HEAVY METAL

JACQUES DE PIERPONT / HERVE BOURHIS

( La petite Bédéthèque des savoirs /

Le Lombard / Mars 2016 )

a9442bookheavy.jpg


Bourhis Hervé, nos services de renseignements ont déjà situé les troubles agissements de ce personnage depuis longtemps, l'a dans un passé récent commis quelques albums BD sur les Beatles, l'histoire du rock et les mythiques singles de notre musique adorée. Un Belge ne marche pas, il dégringole nous a prévenu Charles Baudelaire. Pas de chance pour nous, faudrait être flamand ou wallon pour connaître Jacques de Pierpont qui durant vingt ans a abreuvé les oreilles des belgitéennes peuplades nordiques de stridences rock and rolliennes non homologuées sur les antennes de la RTBF.

Résumer quarante ans d'un mouvement musical aussi tendancial ( et tendancieux ) que le heavy metal en moins de soixante pages – de Coven à Massive Scar Era - n'est pas une mince affaire. C'est là où le découpage graphique de Bourhis sauve l'affaire. Deux couleurs ultra dominantes, le noir et le rouge. La mort et le sang. L'anarchie et la violence. Le taureau et la cape. Des lettrages qui rappellent les atroces tracts trotskistes des adhérents de la quatrième internationale, des reprises salopégées de pochettes, des mini-dazibaos éparpillés en un savant désordre de symboles cultes et de vignettes iconiques. Un dessin aussi bruyant qu'une intro au larsen du Blue Oyster Cult.

a9443worldmetal.jpg

Pour le texte, ils ont préféré le fragment héraclitéen aux vastes périodes cicéroniennes. Maximum de renseignements en un minimum de mots. Z'en ont collé un peu partout, style post-it sur le frigo. Des dactylographiés impeccables pour les notules explicatives et des similitudes de script pour les aspects un peu plus déjantés. Pouvez lire dans tous les sens. Un livre ne commence, ni ne finit, nous avertissait Mallarmé, tout au plus fait-il semblant. Alors nos deux héros nous ont pondu un récit éclaté, mais chronologique. Des couloirs numérotés dans l'ordre, mais chacun d'eux se dispatchant en petit labyrinthe.

Mais comme le signale un proverbe japonais, ce n'est pas la baguette qui fait le riz. Reste maintenant à apprécier le potage au nid de vautours. Le genre même de bouquin qui vous bouscule le fessier entre deux tabourets. Ou vous êtes un fan absolu de Hard Rock et de Heavy Metal et vous pensez qu'un minimum de deux cent cinquante sept groupes essentiels et indispensables manquent à l'appel... ou vous faites partie de ces légions de damnés qui n'avez jamais écouté de votre vie un seul disque de cette satanée musique, mais qui désirez en acquérir un kit vital de survie pour impressionner les petits copains de votre fillette de douze ans, et vous vous apercevez que vous vous êtes engagé fort imprudemment en un monde parallèle infini qui exige autant d'érudition que l'étude des manuscrits de la Mer Morte...

a9444ironmaiden.png

Les rockers sont de grands enfants, ils adorent qu'on leur raconte l'histoire qu'ils connaissent déjà par cœur. En gros vous n'apprendrez rien – rien de nouveau sous le soleil de Satan le rocker – mais à chaque page vous auriez dix pages de commentaires à rajouter. Aspect extérieur classieux, esthétique intérieure faussement crade réussie, se lit d'un trait, contenu honnête, moins encombrant que les vingt-cinq volumes de l'Encyclopédia Universalis, le genre de bouquin indispensable que vous ne rouvrirez jamais. Mais que vous regretterez de ne pas avoir volé.

Un petit défaut tout de même, faute de bande-son, cet opuscule risque de ne pas faire grand bruit. Un comble pour du heavy metal.

Damie Chad.

 


HARLEM BLUES

LANGSTON HUGHES

ET LA POETIQUE DE LA

RENAISSANCE AFRO-AMERICAINE


CHRISTINE DUALE


( Coll : Etudes Afro-Diasporiques

L'HARMATTAN / Octobre 2015 )

a9445dualé.jpg

 


Cet ouvrage de Christine Dualé est avant tout une étude de L'Ingénu de Harlem de Langston Hughes dans laquelle elle se livre à une analyse des propos de Jesse B. Simple. Le lecteur de KR'TNT qui n'a pas manqué d'apprendre par cœur la chronique que nous avons consacrée à cet ouvrage ( voir notre livraison 271 ) ne se trouvera donc pas en terra incognita. Toutefois, toulousaine professeur d'université de civilisation et de culture américaines, spécialisée en le domaine des littératures noires, Mlle Dualé nous apporte des pistes de recherches les plus prometteuses.

La Renaissance de Harlem fut avant tout littéraire. Certes elle fut portée par la virulence musicale noire, vaudeville, blues, jazz, comédies et revues de Broadway, mais il ne faut pas confondre la puissance vectorielle des souffles, des notes, et des cris avec la puissance atomique des mots qui percutent les carapaces les plus épaisses de la bêtise humaine. La musique incline, mais la littérature détermine.


LES PRECURSEURS

a9447cane.jpg

Jean Toomer est un des piliers fondateurs de la Renaissance Noire. En 1923, son roman Cane sera le premier livre noir publié par un éditeur blanc. Toomer révolutionne l'écriture noire, l'est le premier à s'affranchir des stéréotypes bien-pensants de l'idéologie œcuménique blanche. Tous les noirs ne sont pas de bons Oncles Tom en leur case à barreaux. Sont simplement des hommes avec leur terrible ambivalence humaine. Ne valent pas moins que les blancs, mais pas mieux non plus. Un peu comme les petits blancs d'Erskine Caldwell.

a9446makay.jpg

Honneur aux poëtes. C'est en 1922 que Claude Mc Kay parvient à la célébrité avec son recueil Harlem Shadows. McKay est un personnage qui vaut le détour. Son parcours n'est pas sans rappeler et annoncer, toute proportion historiale gardée, celui de Malcom X, avec une jeunesse militante et révolutionnaire ( pro-communiste ) et un retour décevant vers la religion ( catholique )... C'est McKay qui permettra la publication de The Weary Blues de Langston Hughes en 1926, qui suit de peu celle Colour ( 1925 ) de Countee Cullen. Mais alors que Countee Cullen se définit principalement en tant que poète, s'inscrivant ainsi dans la chaîne culturelle dominante, celle qui part d'Orphée pour s'épanouir dans toutes les ramifications de la grande littérature universelle, Langston Hughes se revendique de sa négritude afro-américaine dans tout son déploiement historial. Deux attitudes divergentes, Cullen cherchant à prouver que le poète noir ne se différencie en aucune manière de tout autre poète de n'importe quelle race, n'importe quelle langue, n'importe quel pays, Langston choisissant d'être la voix de son peuple. Non pas pour en devenir le leader mais pour servir de caisse de résonance et de diffusion à son expressivité.

a9448colorcounte.jpg


ALLER SIMPLE

L'analyse du personnage de Jesse B. Simple de Christine Dualé, quoique beaucoup plus fouillée, ne diffère pas sur le fond de la nôtre. Toutefois elle apporte de nombreux détails éclairants. Ainsi elle connaît sur le bout des doigts la composition sociologique des différents quartiers d'Harlem. Ce n'est pas un hasard si telle discussion se passe dans tel bar ou dans un autre. Les lieux sont connotés, toute géographie est traversée de strates historiales dont il faut savoir démêler le faisceau.

De même, de nombreuses conversations qu'un lecteur averti prendra pour une joute oratoire des mieux réussies mais un tantinet gratuite, repose sur de profonds conflits qui ont divisé la communauté noire. Jesse n'exprime pas toujours ses propres idées, prend fait et cause, ou se refuse à apporter son approbation à des problématiques qui ont secoué the colored people durant le deuxième quart du vingtième siècle.

a9449affichesimple.jpg

L'intégration à quel prix ? C'est ainsi que nous pourrions résumer toutes les impatiences de Jesse. Simple est fatigué de l'inertie des choses. La situation du peuple noir ne s'améliore que très lentement. Les hommes de bonne volonté qui cherchent à arrondir les angles sont-ils les plus sages ? La question, pour la formuler selon notre modernité, n'est pas d'être convaincu qu'un autre monde est possible, mais des manières adéquates pour donner à l'urgence de cette possibilité, toute son imminence. Jesse ne rêve pas d'un futur merveilleux, veut simplement le matérialiser en tant qu'ici et maintenant. Bientôt est un mot qui a pris trop de retard.

Simple n'en est pas encore aux temps des barricades, même si au détours d'une phrase, il admet, comme si la chose était si évidente qu'il ne convient même pas d'en parler, qu'il a participé aux émeutes de 1964. Grand art de Langston Hughes. Ces histoires de Simple à première vue fonctionnent comme des intermèdes comiques au théâtre. Vous arrachent le sourire. Mais Hughes les concocte à la manière des marmites que les anarchistes du siècle dix-neuf emplissaient de poudre noire. Elles ne vous enflamment pas la gueule en une gerbe de feu orangé comme un cocktail molotov, mais elles vous montent en pression comme une précieuse et pulvérisante cocote-minute. Pour l'explosion finale, faudra attendre. Que votre colère soit au maximum. Le poussin noir de la révolte n'est pas encore sorti de l'œuf, mais la nécessité de casser la coquille devient impérative.

a9451hughesdessin.jpg


NUITS BLEUES

Christine Dualé dit très souvent le plus grand bien de la traduction de F. J. Roy, nous voudrions bien la suivre sur ce chemin, mais elle possède un savoir que nous ne partageons guère. L'est comme notre Cat Zengler préféré, lit la langue anglo-américaine avec une facilité déconcertante. Vous avez sué durant deux heures et usé deux dictionnaires pour traduire une malheureuse phrase, qu'elle vous dévoile le délicat travail crypto-musical opéré par Langston Hughes. Vous explique le jeu des sonorités, les glissements de sens intraduisibles, les allusions poétiques inconnues, bref elle vous déchiffre et vous offre la recette complète de l'alchimie philologique de l'écriture langstonienne. Un peu décourageant et très enrageant : vous vous apercevez que Lire Hughes en traduction c'est comme si vous regardiez un film d'Eric Rohmer, sans le son. Vous ne perdez pas tout, mais l'essentiel vous échappe. Le superflu aussi d'ailleurs, jugez ainsi du rien qui vous échoit. Langston Hughes tourne sept fois sa plume dans l'encre noire et marécageuse du blues avant d'écrire le moindre mot, de composer le plus minuscule des paragraphes. N'écrit pas en anglais mais en la langue mère de notre musique préférée : le rock and roll.

Damie Chad.


LE DUR CHEMIN DE LA GLOIRE

PORTRAITS DE

NOIRS AMERICAINS


LANGSTON HUGHES


( Nouveaux horizons / 1954 )

a9452bookgloire.jpg


Rassurez-vous, c'est le dernier livre de Langston Hughes paru en français. En ma possession, car il existe de-ci de-là des broutilles éparpillées aux quatre coins d'éditions souvent introuvables. Plus un recueil de poèmes – un très bel objet poétique - que j'ai eu entre les mains voici très longtemps et dont je n'ai jamais retrouvé la trace, malgré de longues recherches dans les catalogues de la Bibliothèque Nationale...

Un livre qui répond au concept de fierté noire cher à Langston Hughes. Nous présente dix-sept portraits de noirs qui furent des sommités en leur domaine, littéraire, sportif, scientifique, journaliste... Sauf l'avant-dernier de Marian Anderson la cantatrice, tous sont rangés par ordre chronologique, de la poétesse Phillis Wheatley – touchante figure - née en 1753, au joueur de base-ball Jackie Robinson qui vit le jour en 1919. Rappelons que Langston Hughes naquit en 1902. Et Barak Obama en 1961. Cela pour montrer le chemin parcouru en deux siècles. Est toutefois encore loin d'être terminé.

a9452philipswithley.jpg

En une courte préface, Langston Hughes rappelle que tous les noirs américains ne sont pas des descendants d'esclaves. Des noms de noirs libres figurent dans les équipages des premières caravelles des Espagnols... Certains combattirent les Anglais au début de la Révolution Américaine. En furent mal récompensés...

Ce qui est sûr, c'est que la plupart des rares noirs dont les capacités furent reconnues par les blancs ont chèrement payé – et physiquement et psychologiquement – leur ascension sociale. L'on note toutefois qu'au fur et à mesure que l'on avance dans le dix-neuvième siècle les conditions s'améliorent quelque peu : d'effroyables elles deviennent extrêmement dures. L'on ne peut parler de réel progrès.


WILLIAM CHRISTOPHER HANDY

220px-WCHandy.jpg

De tous les portraits dressés par Hughes nous ne nous intéresserons qu'a William Christopher Handy ( 1873 – 1958 ) que nous avons déjà rencontré plusieurs fois dans KR'TNT ! sous le nom de W. C. Handy. Le père du blues, comme l'on se plaît à le nommer dans les chapitres introductifs des livres spécialisés dans l'Histoire du Blues. L'immortel créateur de Memphis Blues – le premier blues – et du standard encore plus célèbre, le fameux Saint-Louis Blues. L'on aime magnifier sa réussite sociale, ces dizaines de milliers de sheets – partitions sur feuilles volantes – vendues d'un bout à l'autre de l'Amérique. L'on ne retient souvent que l'anecdote de W. C. Handy sur un quai de gare entendant par hasard un pauvre ouvrier noir gratter sur une vieille guitare un air que revenu chez lui Handy se dépêchera de noter, devenant ainsi l'inventeur – terme qui désigne les trouveurs de trésor – du blues.

220px-W_c_handy_stamp.jpg

A croire que le hasard fait bien les choses. Langston Hughes remet les évènements en perspective. L'histoire commence bien – une fois n'est pas coutume – Handy eut une enfance modeste mais privilégiée, son père est pasteur - ce qui inclut une toute relative aisance - et sereinement heureuse en pleine campagne prés de Florence, ( Sweet Home ? ) Alabama. Eut la chance d'aller à l'école et d'avoir un maître qui enseignait chaque matin gammes, hymnes religieux et airs de Wagner, Verdi et Bizet... Première modulation négative à douze ans : son père lui fait ramener au magasin la guitare qu'il s'est achetée avec l'argent de ses jobs. Dieu ne tolère pas la musique profane. Son paternel enfonce les clous dans le cercueil symbolique dans lequel il préfèrerait l'enterrer plutôt que de le voir devenir musicien...

220px-WCHandy_w_AM_College_band_1900.jpg

Le gamin persévère malgré l'animosité parentale. Un cirque de passage lui permet d'acquérir un cornet à pistons d'occasion, il suit les répétitions de l'orchestre, et à quinze ans commence à courir les routes avec divers compagnons musicaux et d'infortune. L'arrive à Saint-Louis où il connaît la dèche, dort à la sauvette dans les champs, les gares, sur le bord du Mississippi, pourchassé par les flics et la faim... La chance finira par lui sourire lorsqu'il entrera dans la troupe des Menestrels Noirs du Mahara, restera quatre ans avec eux à parcourir les Etats-Unis et le Canada... Grâce à ses talents de compositeur et de soliste, les Ménestrels sont devenus un big band de quarante deux musiciens, interprétant des œuvres que nous qualifierons de pseudo-symphoniques.

220px-Handys_Memphis_Orchestra_1918.jpg

A trente ans Handy se fixe à Memphis. Prend un virage dans sa tête : il abandonne la musique « classique » pour composer des airs inspirés par tout ce qu'il a entendu sur la route durant quinze ans, tous ces musiciens anonymes, blancs et noirs, qui s'adonnent d'instinct à ce que l'on appelle la musique populaire. Compose une mélodie pour l'élection du futur maire Mr Trump, une fois celui-ci élu, il la rebaptise Memphis Blues. Elle rapportera des milliers de banknotes. Aux éditeurs, à qui il l'a vendue... pour cinquante dollars.

a9456stlouisbues.jpg

La leçon sera bénéfique : ne commettra plus la même erreur. A Memphis, dans Beale Street, à quarante ans en 1913, il crée sa nouvelle œuvre, le fameux Saint Louis Blues qui lui emmènera gloire et fortune. La mélodie est remplie de l'amertume, de la détresse, et de la tristesse des ses années d'errance... En Europe, Stravinsky, Honneger, Milhaud, Debussy entendront cette complainte du blues qui ensemencera leur écriture... Aux States Gershwin s'en souviendra lors de la composition de Porgy and Bess...

Handy écrira des dizaines d'autres morceaux, deviendra une sommité de la composition et de l'édition musicale, recevra honneurs et reconnaissance... Mais nous sommes loin de l'anecdote du voyageur qui capte presque par inadvertance un air gratouillé - vraisemblablement slidé - par un malheureux hobo. Handy n'a pas récupéré ce qui ne lui appartenait pas. Avait préalablement acquis la dure expérience qui lui permit de reconnaître le chant altéré de son peuple.

320px-Bronze_statue_of_W.jpg

La vie bleue est toujours moins rose qu'il n'y paraît au premier abord. Grande leçon langstonienne.

Damie Chad.

 

 

 

22/02/2016

KR'TNT ! ¤ 270 : KEITH RICHARDS OVERDOSE / HOWLIN' JAWS / NELSON CARRERA + SCOUNDRELS / YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO / LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT / FALLEN EIGHT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

A20000LETTRINE.gif

LIVRAISON 270

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

25 / 02 / 2016

 
KEITH RICHARDS OVERDOSE

NELSON CARRERA & THE SCOUDRELS

YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO

LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT

FALLEN EIGHT / HOWLIN' JAWS

 

04 / 12 / 2015

L'ESCALE / LE HAVRE ( 76 )

KEITH RICHARDS OVERDOSE

a9421affiche.jpg
UNE BONNE DOSE DE KEITH

RICHARDS OVERDOSE

a9416dessin.gif

 


Ça remonte au temps où Born Bad se trouvait encore rue Keller. Deux choses vous mettaient en transe : le mur des nouveautés et bien sûr les bacs à thèmes : garage, surf, soul, punk, blues et rockabilly. On y piochait un mélange de nouveautés pointues et d’occases de rêve à 13 euros. Born Bad était pour ceux qui avaient fréquenté Rock On à Londres la suite logique. Et pendant qu’on farfouillait dans les bacs, Iwan passait des disques. Il passait bien sûr des trucs intéressants et les oreilles des lapins blancs se dressaient. Franchement, il régnait dans cette boutique une ambiance idéale. Pour les petits rockers de banlieue, c’était tout simplement la caverne d’Ali-Baba.

Un jour, alors que je sortais des bacs des beaux pressages américains de Dick Dale et toute une série d’occases des Chesterfield Kings, j’entendis un truc encore plus terrible que ce qu’on entendait habituellement, du garage-punk, mais avec un son sourd auquel nous n’étions pas habitués. Direction le comptoir.

— C’est qui qu’on entend ?

Il montre la pochette, avec la photo en noir et blanc. Je n’en reviens pas !

— Keith Richards Overdose ? Ça alors ! Le vieux Keef il a de l’humour !

— Mais non, c’est pas Keef, c’est des Marseillais !

— Quoi ? Des Français avec un son pareil ?

— Oui des anciens Hatepinks !

— Fantastique ! Il est à vendre ?

— T’as de la chance, il en reste un...

a9423firstdisc.jpg

L’album est solide, c’est le moins qu’on puisse dire ! Les Marseillais naviguent au même niveau que leurs compatriotes les Cowboys, dans les couches de son plein et dans le bon bal des influences. Ils nous happent dès «Rocking At The House Of Blue Lights» avec un punk-rock sourd et torride, bombasté à la vieille mode. On retrouve ce sourdisme de son dans «Chain Reaction Honey», et ça vire crampsy sans prévenir, avec une basse qui mène le binz par le bout du nez. C’est un excellent disque d’attaque frontale, comme le confirme «Hot Blood». On pense à l’album des Loyalties, perdu dans le fog de l’underground anglais - Hot blood I love you so ! - On reste dans la belle attaque avec «Skinny Jeans», torché à la belle énergie des ouh et des ah ! Le rock des KRO est d’une incroyable solidité. On retrouve chez eux toute la belle niaque des Cowboys From Outerspace. Cet album est vraiment excitant, bardé de gros climats pathogènes et d’excès d’oh yeah ! «Never Been Good With Math» est joué à l’excès de jus Gun Club/Gallon Drunk et noyé au plus profond des pires torpeurs atmosphériques. De l’autre côté, on trouve une reprise bien enlevée de «Hippy Hippy Shake» puis un stupéfiant «Walking The Frog», punkoïde au possible - Oh c’mon ! - C’est une vraie fournaise ! Les Overdoses pataugent dans l’excellence de la démence et ils font monter la mayo des c’mon jusqu’à l’apothéose. Avec «Try This», on se croirait chez les Who de «Live At Leeds» ! Ils nous plaquent carrément les accords de «Substitute» ! Encore une fameuse pétaudière avec «Scatman» et ils referment la marche avec un faramineux «1234 & Again» chanté au bon boogaloo et terrible de présence indigène.

a9417deux.jpg

Les années passent et voilà que se produit un petit événement. Oh, ça ne fera pas la une des journaux, mais c’est un petit événement quand même. D’autant plus important qu’il est double. On apprend en effet la réouverture de l’Escale, un bon bar rock du Havre avec au programme nos amis marseillais. Il n’en faut pas davantage pour renouer avec ce vieux sentiment d’excitation qu’on éprouve chaque fois qu’un bon concert est annoncé. Le boss de l’Escale a refait sa salle à neuf et c’est presque devenu luxueux. Endroit idéal pour un groupe garage comme Keith Richards Overdose. Et petite cerise sur le gâteau, la salle est pleine.

a9418trois.jpg

Sur scène, les Marseillais offrent un surprenant mélange de stonesy et de garage-punk, le tout bien soutenu au beat. Avec son maillot rayé et son ancre de marine tatouée sur le bras, le chanteur renvoie à l’univers visuel des Dolls, d’autant qu’il joue sur une grosse White Falcon, comme jadis Sylvain Sylvain. Le parallèle avec les Dolls est flagrant, et on repense à cette assurance qu’affichaient Sylvain et Johnny Thunders, lorsqu’ils plaquaient leurs accords en tordant leurs bouches, eh oui, ils savaient au plus profond d’eux-mêmes (deep inside their hearts) qu’ils jouaient dans le meilleur groupe de rock du monde, à l’époque. On retrouve la trace de cette assurance chez le Marseillais, car il semble véritablement possédé lorsqu’il claque ses accords en hurlant ses refrains. Ce mec est un pur rock’n’roll animal, un porteur de flambeau, l’héritier d’une lignée de puristes qui remonte aux Dolls et aux early Stones.

a9420seul.jpg

Ce mec sait ruisseler comme Little Richard et montrer son cul comme Iggy Stooge. Il peut faire le con sur scène, sauter dans le public, il a derrière lui une section rythmique infaillible et un transfuge des mighty Holy Curse en support guitaristique. Leur objectif semble se limiter à offrir un bon set de rock aux Havrais, ce qui est en soi le plus louable des objectifs. C’est aussi l’occasion de vérifier une fois de plus que l’avenir du rock se trouve dans les bars, plutôt que dans les stades.

KEITH RICHARDS OVERDOSE, HOWLIN' JAWS, NELSON CARRERA AND THE SCOUNDRELS . YANN THE CORRUP TED,  JAKE CALYPSO / LES ENNUIS COMMENCENT, NAKHT, FALLEN EIGHT

Le deuxième album des Marseillais vient de paraître sur Closer, avec une pochette ornée du Jolly Rodger des junkies : un crâne et deux seringues croisées en guise de tibias. Joli titre : «Kryptonite Is Alright». Ils attaquent avec «If I Was You», ce slow super frotteur qui fit des ravages pendant le set du Havre. On pense bien sûr au slow super-frotteur des Oblivians. L’ensemble de l’album est très rock’n’roll. La plupart des cuts sont montés sur des structures classiques, mais si on ne retrouve pas le son du premier album, on croise au coin du bois la belle tension qui faisait son charme. Ils ornent «Ton Punk Rock De Vieille» d’un beau solo suspensif et bouclent la face avec «Fifteen Sixteen», amené au parti-pris de stonesy et doté d’un beau background dollsy. Ce cut inspiré vaut pour le hit du disque, d’autant qu’on sent battre sous la peau le pouls des Dolls. De l’autre côté se niche un fantastique balladif intitulé «So You Say You Lost Your Baby» et on tombe plus loin sur l’excellent «Hold Me Tony», nerveux et bien goulu. On voit bien qu’ils cherchent leur voie sans trop se casser la tête. Ils bouclent avec un «Worse Things I Could Do To You» servi sur un plateau par l’intro de basse du grand Nasser. Ce cut fit lui aussi quelques ravages lors du set, car il fonctionne à l’insidieuse.

Signé : Cazengler, aux verres dose

Keith Richards Overdose. L’Escale. Le Havre (76). 4 décembre 2015

a9419tordu.jpg

Keith Richards Overdose. ST. Scanner Records 2011

Keith Richards Overdose. Krytonite Is Alright. Closer Records 2015

19 – 02 – 2016
ROCK'N'BOAT

LA PATACHE / PONT DE L'ALMA

 

HOWLIN' JAWS /

 

NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS

YANN THE CORRUPTED

 JAKE CALYPSO

a9404affiche.jpg


Finissons de faire les zouaves, dare-dare au Pont de l'Alma, pour prendre à l'abordage La Patache à l'attache le long du quai. D'abord franchir la muraille de Chine des touristes made in Hong Kong qui rejoignent leur car, ensuite s'engouffrer au galop dans le navire amiral du rockabilly. Pas le temps de le parcourir jusqu'à la poupe pour saluer amis et connaissances que Bernard Soufflet l'organisateur de l'évènement présente déjà les Howlin' Jaws. Comme un rocker normalement constitué ne rate jamais un gig des Howlin' je me faufile au premier rang. Non sans difficulté, car il y a du monde.


HOWLIN'JAWS

a9407jawstrois.jpg

Même si vous ne les connaissez pas, je vous donne le truc pour les reconnaître. Sont le seul groupe du monde à arborer fièrement une casquette à hélice – allusion hélicoïdale à la structure de l'ADN, ou apparition du complexe de l'hélicoptère à ajouter aux analyses freudiennes ? : les savants n'ont pas encore résolu le problème – sur la tête. Le grand sur votre droite, incliné sur sa contrebasse c'est Djivan, he's the one in his red blue-jean, au fond au milieu, baguette à la main, non ce n'est pas le chef d'orchestre, c'est la batteur Mathieu qui ne croit qu'en ce sur quoi il cogne ( dur ). Enfin the last but not the least, c'est Lucas (grave) penché sur son instrument, l'esquire exquis de la squier guitar. Avant de lâcher les fauves, je vous explique le comportement de ces félins. Comptez dix minutes de déchaînement absolu. Vous êtes en train de sortir votre portable de la poche pour alerter les autorités, lorsque tout se calme, comme par magie. Silence absolu. Apparemment nos lascars ont quelque chose de plus important à faire. C'est au choix. Ou Djivan, ou Lucas. Il tire son peigne de sa poche arrière et entreprend de lisser ses cheveux en arrière. Ne poussent pas le vice jusqu'à se regarder dans une glace, et c'est brusquement reparti pour un quart d'heure de pur bonheur. Pour ceux qui aiment le grabuge au mètre cube.

Quatre groupes, alors autant mettre la barre au plus haut tout de suite. Les Howlin' détestent les gradations lentes. Appliquent un principe des plus simples, en dix secondes vous devez être au maximum. Ensuite, toujours en rajouter. Ne jamais baisser en intensité. Pour bien montrer qui ils sont, ils tapent en majorité dans leur répertoire original. Ils sont les Howlin, aux dents longues, et le public ne manque pas de mordre à l'hameçon.

a9408howlin2.jpg

Djivan est au chant et Mathieu au tambour. Lucas est partout. Les deux acolytes lui fournissent la toile, écrue, épaisse, une véritable voile de clipper taillée pour les vents d'orage, et c'est Lucas qui dessine dessus les têtes de mort et les sabres d'abordage. Pirate au long cours qui ne fait pas de prisonnier. N'est à l'aise que dans les combats rapprochés. Bondit sur le devant de la scène et vous tire quelques boulets juste dans la soute à munitions pour vous faire sauter le caisson. C'est un retors, vous a toujours l'intervention de trop, celle qui vous fait chavirer de joie, la lame du poignard qui pénètre droit dans votre coeur sans crier gare. Et Djivan qui ricane des chants de matelots à vous glacer d'horreur l'âme de Baudelaire. Derrière Mathieu crashe boume et hue comme un forcené. Impulse le rythme, droit à la lame, ne pas faiblir, ne pas mollir, lorsque l'on a déchaîné la tempête faut assumer. Et il assomme à tour de bras. Djivan déchire the big mamamita – elle va mourir mais il s'en soucie comme de son premier radeau.

Revoilà Lucas, on ne l'avait pas oublié avec ces notes qui nous déchirent le cerveau sans pitié, ce gars il est dangereux, il vous trépane jusqu'au bulbe rachidien et vous l'applaudissez des deux mains comme un zombie stupide. Les Howlin n'ont pas cassé la baraque, ils ont réduit les planches en poudre. Et plus ils vous dézinguent plus la masse des spectateurs s'appesantit sur le devant de la scène.

a9410bellejaws.jpg

Difficile de rêver mieux comme entrée en matière. C'est comme pour Le Vaisseau Fantôme de Wagner l'on risque de ne se souvenir que du prélude. Les Jaws nous ont pulvérisés. Un set d'une intensité incroyable. Sans bla-bla, sans chiquet, trois musiciens et leur musique. Le problème pour les hypothétiques lecteurs qui n'aimeraient pas, c'est qu'ils ne jouent que du rock and roll. Vous n'êtes pas obligés d'apprécier. Ni d'être parfaits. Evidemment les Howlin' Jaws, eux ils sont parfaits. Tant pis pour vous, tant mieux pour eux.

Quand ils ont quitté la scène il y avait de quoi écrire un livre rien qu'à décrire les yeux brillants d'adrénaline de l'assistance stupéfaite et ravie.


NELSON CARRERA

AND THE SCOUNDRELS

a9405Nelsontous.jpg

Pas évident de passer après une telle tornade. Les Howlin' c'est du rockag électrifié à mort comme une chaise dans un pénitencier américain, Nelson Carrera c'est le hillbilly des collines, agreste et rural. Faut être un sorcier pour de telles transitions. Pas le genre de défi qui peut apeurer Nelson. Mais ce n'est pas aux renards que vous apprenez à voler les poules. Les Scoundrels ne sont pas des demi-sels. Des pros : Jorge le Taiseux qui ne regarde que sa contrebasse, faut entendre comme il l'a fait chanter, Pascal l'Efficace aux drums et à la barbichette, inutile de se retourner vers lui, vous suivrait jusqu'en enfer, et Raphaël à la gâchette facile. Un coup d'oeil de Nelson et c'est parti pour la chevauchée sans pitié. Vous vouliez savoir ce que c'est qu'une guitare électrique, Raph vous fait la démonstration. N'allez pas vous plaindre à votre mère après. Il sera trop tard. D'autant plus que Nelson sur sa rythmique il vous mène les frères Jesse James à l'attaque de la banque sans état d'âme.

a9406nelson.jpg

En plus Nelson, il a une arme même pas secrète, une voix d'or. C'est presque trop facile. Enrageant, vous pouvez toujours essayer devant le lavabo. S'en sert comme un brigand pour fracturer la porte de votre sensibilité. Cinq titres à tout berzingue pour montrer ce dont les Scoundrels sont capables et puis l'on part vers la campagne country, les contreforts des Appalaches, le rock d'avant le rock. Un enchantement. Nous tient sous le charme, Nelson, ne nous lâchera plus. Les titres défilent sous les acclamations, un hommage à Carl des Rhythm All Stars, qui nous manque. Charlie Feathers, Johnny Horton, les grands noms, la discographie idéale, interprétée par un combo de rêve. Ne savez plus où donner de la tête, Jorge qui résonne, Pascal qui façonne, Raph qui cisèle et Nelson qui module tout en expédiant le tout sur une rythmique d'enfer. C'est en cela que réside le mystère, une pêche d'enfer et une voix qui explore les moindres sinuosités de la nostalgie. Nelson sous sa couronne de cheveux blancs est le barde du hillbilly, nous administre une leçon de bel canto rockab. Après lui pouvez aller vous rhabiller. C'est du cousu d'or fin. De la belle ouvrage rehaussée de la pourpre incendiaire de la guitare de Raph.

a9411raph.jpg

Chante longtemps sous les vivats du public. On s'y laisserait prendre, l'on passerait toute la soirée avec. Mais Bernard Soufflet regarde sa montre. C'en est fini de cette oasis de fraîcheur dans ce monde de brute. Nelson et son band de malandrins ont une fois de plus réussi leur coup. Une douceur enlevée, une tendresse enfiévrée, et hop, ils sont déjà repartis. Mais ils emportent tout ce que vous avez de meilleur en vous. Un rêve d'Amérique que vous ne referez jamais tout seul avec une même intensité. Faudra attendre que Nelson Carrera et ses boys repassent près de chez vous.


YANN THE CORRUP TED

a9414photos3.jpg

Attention l'on change de scène. L'on est dans le gang des outlaws. Chevauchée dans les rangs des rebelles. Le devant de la scène est squatté par un bataillon de teds. Texas est à la basse, placide, l'en a vu d'autres, le fiston a intérêt à assurer à la guitare. Jacky Lee et son incroyable dégaine – c'est fou comme ses favoris en lames de faux qui se rapprochent de ses lèvres lui confèrent une terrible dignité - attend les dernières accordailles de la balance, ne sera jamais parfaitement établie, la voix de Yann étant trop souvent reculée par rapport à sa guitare. Dommage car le set fut infernal.

Du début à la fin. Facile à résumer, une rythmique de fer. Intangible. Avec un crescendo irrésistible. Morceau après morceau. Ce n'est pas que l'on joue obligatoirement plus fort, c'est que l'on confère davantage d'intensité à chaque fois. Musique très physique avec une terrible implication personnelle. A la moitié du set, les fans n'y tiennent plus et montent danser sur scène. Chacun s'approprie le morceau, le mime, de la voix et du corps, d'une guitare imaginaire.

KEITH RICHARDS OVERDOSE, HOWLIN' JAWS, NELSON CARRERA AND THE SCOUNDRELS . YANN THE CORRUP TED,  JAKE CALYPSO / LES ENNUIS COMMENCENT, NAKHT, FALLEN EIGHT

Yann a cherché l'efficacité. Maximum de classiques beaucoup de Flyin' Saucers et de Charlie Feathers. Tout le monde connaît les titres et se laisse dériver et hypnotiser par le tempo d'acier. Trois infatigables. Sont pour le développement durable mais pas pour économiser l'énergie. Texas file les lignes de basse comme s'il pêchait au gros. Pas des truites vagabondes. Du cachalot bagarreur. Mes yeux sont rivés sur les doigts de Yan qui scandent le rythme sur des cordes fines et coupantes comme des noeuds coulants. Jacky Lee est fascinant. En mouvement perpétuel. L'abat des coups tranchants comme des cognées de bûcheron sur l'entaille des arbres. Pas d'écho, pas de rebond, pas de volume ouaté, sec comme une branche d'arbre qui casse d'un bruit net sous votre pied. Ou le déclic d'un piège à loup sur votre jambe. A la fin du set, l'est un signe qui ne trompe pas, fait jouer ses poignets pour en chasser la rigidité robotique. Une frappe d'une vigueur étonnante. Chaque coup retentissant dans sa propre solitude sonore sans jamais mordre sur le suivant ou le précédent. Un mouvement d'horlogerie pour une cadence inexorable.

a9415disc.jpg

Auront droit à un rappel, exigé par le public. On ne pouvait pas les laisser comme cela. Nous aurons droit à un Train Kept A Rollin démentiel. Perso j'ai une préférence pour leur interprétation de Born To Be A Rolling Stone de Gene Vincent, un titre rarement choisi dont ils ont bousculé avec bonheur l'orchestration. Finissent dans un charivari festif des plus agréables. Ont réussi à corrompre le public. L'est vrai que les rochers, quand on leur propose du rock qui dévaste le périmètre de leur entendement, ont l'âme vénale. Drapés dans leur enthousiasme les Teds sont toujours les Teds. Egaux à eux-mêmes. Ne déçoivent pas. Sont vivants.


JAKE CALYPSO

a9397musiciens3.jpg

L'est attendu comme le messie. Pas celui qui marche sur l'eau, celui qui bondit de rock en rock sur les rochers qui affleurent. Thierry révèle sa nature méticuleuse, range son boîtier à lunettes dans son sac, vérifie sa monnaie dans la poche du pantalon, vous le regardez et vous vous dites, on en a encore pour une demi-heure. Guillaume ramasse sa contrebasse, Christophe passe sa bandoulière, Hervé trifouille sa guitare. Prend subitement deux décisions lourdes de conséquence. D'abord il enlève sa veste jaune pour arborer une chemise d'un rouge-orangé à faire hurler de joie les photographes, puis d'un geste large il jette au fond de la scène le fil et le scotch qui relie sa guitare à l'ampli. Prend la parole et résume la situation d'une phrase lapidaire à la Jules César dans La Guerre des Gaules. «  Pas de jack, pas de répétition, pas de balance ! ».

a9400microbouche.jpg

Retenez-les. Trop tard c'est parti. Christophe Gillet plante les premières banderilles, se propulse en avant à chaque riff, le pied catapulté en hauteur comme à la savate. Sous sa casquette plate Guillaume maltraite son encombrant, et Loison à qui il ne faut pas en promettre se met à glousser au micro comme une pintade quand le goupil se faufile dans le poulailler. La salle chavire et caquette comme la fameuse poule d'Henri IV que l'on viendrait chercher pour la glisser dans le pot idoine. Thierry bat la démesure du fou tranquillou dans un mouchoir de poche. Le mec qui ne s'affole jamais. Dans le tintamarre qui va suivre, se contentera d'esquisser de temps en temps un sourire sardonique. Il est l'oeil de l'ouragan. Le moteur immobile de la roue folle du karma humain qui tourne à toute vitesse. Loison se mue en Shiva, le dieu aux mille bras. S'est débarrassé de sa bandoulière, tient sa cithare acoustique coincée comme une oiselle sous son aisselle, ce qui lui donne une belle prestance à la Elvis. Ce qui tombe à pic, puisqu'il est en train de revisiter son dernier CD, downtown à Memphis qu'il a enregistré avec son band dans les studios Sun. Un truc que je ne comprendrai jamais, comment fait-il ce diable d'homme, cet agité du bocal, pour vous restituer le son dans sa pureté absolue ! Bien sûr, l'a son gilet de sauvetage, le Chris qui vous turlupine tout ce que vous voulez sur sa guitare. Tout en étant atteint d'une tarentulite aigüe. Avec Guillaume plié de rire en deux, tel un Ganesh facétieux, sur son engin – sans pour autant pédaler dans la choucroute d'un quart de ton – moi j'aurais comme un doute. Mais non Loison, c'est en même temps la pureté foncière du rockab et l'Actor's Studio. Vous en donne le maximum pour le prix minimum. Eloge de la gratuité de la folie. Romantisme débridé et échevelé. Grogne, ronce, babatise et attise sans cesse le public. Ne sont plus seulement quatre mousquetaires sur scène, le régiment du public les suit et les précède. Deux cents gosiers chantent en choeur avec Loison. A chacun son petit délire, perso je suis en train de jouer des tablas sur la contrebasse de Guillaume quand ma voisine me tire par la manche pour me passer un demi-verre de bière éventée. What is it ? Je ne suis pas celui pour qui vous me prenez ! Mais non, elle vient de déboucher une bouteille de Sky et je suis désigné pour passer à Jake sans jack un graal de Jack, ce nectar suprême des Dieux. C'est que Loison, il faut le ravitailler en plein vol, l'est d'ailleurs en train de voler au travers de la salle sur le bout de nos bras. D'autres se vautrent sur la scène, certains caressent le visage d'Hervé maintenant gisant sur le dos, ça hurle de tous les côtés, des excités inventent de nouvelles danses, Loison refait un petit tour à vol d'oiseau, revient en courant, glisse sur une flaque de bière et emporte au sol une danseuse, un flip flap arrière à vous briser la colonne vertébrale dont Noureev n'a jamais osé rêver. Au sourire ravi de cette cavalière si rapidement jetée à terre, l'on pourrait parler de choc amoureux.

a9399oiseau.jpg

Mais Hervé est déjà sur scène – au-dessus des eaux de la Seine – chante le désespoir du blues – un blues de peaux rouges criards et ravagés à l'eau de feu - en faisant le poirier sur la batterie de Thierry qui n'est pas ému pour une demi-cacahouète par cette pirouette. Jette sa chemise dans la foule, s'enfuit en coulisses. Mais on ne stoppe un pandémonium aussi facilement qu'un go-fast sur une autoroute. Il se fait tard. Bernard Soufflet octroie un rappel, tout de suite transformé en trois morceaux par Mister Loison. Je préfère ne pas vous raconter, vous m'en voudriez toute la vie de n'avoir pas été là. Bref, un set de folie. Merci à nos quatre héros.

a9402àgenouxmieux.jpg

 

RETOUR

L'on s'éclipse à toute vitesse. Comment l'on a regagné la Teuf-teuf à l'autre bout de Paris, sans métro, je vous le conterai un autre jour. Mais la journée a été tellement bonne que l'on n'a pas ressenti cela comme une galère. En plus j'ai ramené, un petit vingt-cinq centimètres inédit de Gene Vincent qui vient juste de sortir; tra-la-la-la-lère !

Damie Chad.

( Photos fb des artistes : Sergio Photostock / Rey Fonzareli / Olvier Navet )

 

LES ENNUIS COMMENCENT

LOVE-O-RAMA

FLIGHT OF THE TAIKONAUTS GUITAR / THE FRENCH PLAYBOYS MOTORCYCLE BOYS / DON'T TELL ME YOUR TROUBLES / MARWINE TAGADA / JOHNNY'S DEAD / WHEN ELVIS WAS THE KING / 2000 YEARS FROM HOME / I ATE MY BURGER ( TWO DAYS LATER ) / THE GODSPELL ACCORDING TO A. A. NEWCOMBE / TEENAGE QUEEN / OFF THE BUNCH / SOLLACARO 2:45 PM

 
Atomic Ben : Vocal, guitar / Gus Psycho Picasso : double bass / HUGO SLIM KIDD : Drums / Arno Cole Hicks : guitars /

Benislav Bridgen : organ piano / Jezebel Rock : Arrangements

Methanol Production / Buzz Buzz Records

a9396lesennuis.jpg


Fly of The Taikonauts Guitar fanfares de guitares, apachien ou appalachien ? Un rumble des familles dirions-nous pour mettre tout le monde d'accord, oui ça sonne plus américain qu'anglais, mais voyez-vous c'est la poule aux oeufs d'or française qui nous a pondu cette petite merveille. The French Playboys Motorcycle Boys après la poulette made in France ceux qui portent un aigle sur le dos, cavalerie de chevaux d'acier, c'est Ben qui chevauche en tête, super girl sur le porte-bagage, bagarres et cavalcades à foison, c'est chromé comme un aileron de Triumph, la route des légendes, l'autoroute de la mythologie rock, Don't Tell Me Your Trouble conseil d'un ami à l'ami, ne dépose pas tes valises de problèmes dans mon living-room, j'en ai des malles pleines, les nanas deviennent merveilleuses dès qu'elles se sont enfuies, alors écoute ce camaïeu musical, cet entremêlement de batterie ponctuée de guitares et la voix de Ben qui sautille sur les obstacles, y a trop de bon rock and roll dans le monde pour s'ennuyer dans la vie. Marwine tagada elle est sucrée comme une fraise tagada arrosée de sucre candy, la petite Marwine, avec ses sourires de crocodile vous la croqueriez sans rémission. Les Ennuis vous présentent la poussinette idéale, le rêve dont on dreame toutes les nuits et dont vous vous interdisez la cueillette, avec des chœurs féminins à vous conduire tout droit en enfer. Ne craigniez rien, à peine avalée vous en dégustez dix autres aussi sweetest dans le paquet de la vie, suffit de remettre dix fois de suite la piste 4. Attention terriblement addictif. Johnny's Dead changement de climat, l'est des êtres plus inquiétants que Marwine, le rythme obsédant du morceau, vous incite à la plus grande des prudences, attention l'Amitié est encore plus dangereux que l'Amour. Johnny le zombie n'est pas le copain idéal, mais l'est irrésistible comme tous les bad boys. Une version des Bras en Croix de Johnny mis au goût du jour dans le retour des morts-vivants. Le malheur c'est tout comme pour Marwine, vous allez y revenir au moins vingt fois de suite pour en goûter tout l'humour noir. Attention le noir prédomine. Et ces notes éthérées de strato comme un avion qui se perd dans le brouillard... When Elvis Was The King quand Elvis s'insinue dans votre âme et friture tout votre feedback. Le rock est une drogue destructrice, façonne votre pensée et dicte vos déviances. Jeune et jolie, mais déjà en mode survivance. Parce qu'Elvis est le roi. Et que personne ne peut rien y faire. L'est des cauchemars dont on refuse de sortir, l'on y est trop bien. Chant phantomatique de Ben qui vous atomise. 2000 Years From Home quand la réalité est trop lourde à porter vaut mieux sauter dans le fuselage de l'orgue et s'enfuir à l'autre bout de l'univers. Avec les Stones en trip dans le cockpit, l'on est sûr de ne pas s'ennuyer. I Ate My Burger ( Two Days Later ) retour sur terre, attention c'est encore plus terrible qu'un voyage dans l'espace, les fins de soirée sont parfois dures à achever, surtout au petit matin, quand on a sniffé filles, rock and roll et cocaïne dans les intraveineuses de la rage de vivre. Difficile de retrouver son assiette. Et même de retrouver son burger dans son assiette. The Godspell according to A. A. Newcombe le même sujet que le précédent, mais en plus sombre. Un massacre. Ne plus survivre dans la mythologie mais dans la réalité de la vie. Pouvez prier Jésus et tous les diables de l'enfer, les filles s'éloignent... Teenage Queen le réel perdu, vous revivez votre vie en kaléidoscope avec les titres de Gene Vincent en bande son. Une fois ouvert le livre de la nostalgie rock ne se referme jamais. Rêve de vampire qui éprouve une folle envie de fraises tagadas. Off The Bunch reprise de la course en tête. Soyons clair, dans la tête du perdant. Magnifique si vous voulez, mais ne vaut mieux pas donner un titre au tableau en peau de chagrin. Portrait de Dorian très gris sombre. Spellacaro 2: 45 PM instrumental sous-titré Death in the afternoon. Tout un programme. Tout le programme. Quand vous abattez l'as de pique au poker menteur de la vie, faites attention que ce ne soit pas le Johnny Ace.


Waouh ! C'est des français qui ont fait un truc de ce calibre ? Se foutent de notre gueule : chantent en anglais mais prennent soin de glisser le mot french dans les lyrics. De tous les disques rock parus en France, c'est vraisemblablement celui qui s'inscrit le mieux dans l'imaginaire rock national. Lisez les notes de la pochette si vous voulez confirmation.

A se procurer d'urgence si vous êtes fan de rock an roll. Même si en fait c'est un disque de blues, le disque de blues, le plus déchirant éclos sur le terreau national. Bourré d'humour dynamite, une production des plus soignées, des musicos au summum de leur art et un chanteur époustouflant. Tout en finesse. Mais en prime, tout ce que l'on ne dit pas, tout ce que l'on tait par pudeur, pour ne pas ennuyer les voisins, ce désespoir qui vous saisit à la gorge lorsque vous passez la frontière du mi-temps de la vie, la pente du déclin. La pochette annonce la couleur : couleur bleu-gris du soir qui descend. Le renard de l'existence vous subtilise toujours le fromage de la vie, à vous le corbeau déplumé même si vous possédez le plus beau love-O-ramage du pays...

Musicalement c'est une merveille. Un groupe de mambo-rockabilly qui ne court plus après les vieilles lunes de l'adoration perpétuelle, mais qui tient par-dessus tout à se démarquer du troupeau de la meute suiveuse par son aspect créateur. Les seuls vrais loups encore sauvages sont les solitaires.

Citez-moi cinq disques français qui atteignent à ce niveau, et je vous remercierai. Perso, je n'en connais que trois. Commencez par quérir et chérir celui-ci.

Damie Chad.

 


NAKHT / ARTEFACT

INTERLUDE / ARTEFACT / OUR DESTINY / NEW BREATH / FALLEN LIFE

Danny : Vocals / Chris : guitar / Alexis : Guitar / Clément : bass / Damien : drums

a9394nakht.jpg


Désolée la terre. Astre mort. Ecrasée par l'immensité spatiale des nues. Avec au centre d'un anneau saturnien trop parfait pour ne pas être inquiétant, l'apparition de l'oeuf germinatif planétaire culminant selon les contreforts d'une mastaba pyramidale rudimentaire. Presque un visage en croissant de lune renversé en filigrane. Taisez-vous, une oreille runique nous écoute. Avons-nous jamais été seuls depuis l'extinction génocidaires des terribles lézards. Très belle pochette du premier EP de Nakht.


Interlude destruction finale. Juste le commencement d'un autre cycle. Des voix éparses agonisantes dans la poussière du bruit. Et une autre qui émerge de sa toute férocité barbare. La musique comme une fin de règne, le bruit comme la fureur d'un monde nouveau émergeant. L'on ne brise pas la coquille du magma stellaire sans tuer les derniers hommelettes que nous sommes. Juste un interlude. Artefact la suite de l'histoire de la bête qui nage dans le fétus humain. Mais c'est nous qui sommes le produit de cette gestation germinative. Nous croyions être de êtres vivants, nous ne sommes que des constructions aléatoires du vivant cellulaire. La coupure du triangle et les grognements du cochon qui nous dévore de l'intérieur. Nous sommes la crotte du cosmos. La merde puante des dieux. Enfoncez-vous cela dans le crâne à coups de pelles avant de creuser la tombe de vos illusions. Crash final. Our Destiny s'annonce mal, l'oracle n'est pas très optimiste nous promet tous les malheurs de l'univers cosmique. Nous sommes les résidus du bidet intergalactique. Assomption finale dans les vertiges de la brutalité. New Breath une respiration brontausaurique. Hosannah sur les cistres et les encensoirs comme disait Mallarmé. Je vous apporte la bonne nouvelle. Tout va mal et rien n'ira pour le mieux. L'horizon s'éclaircit. Pas la peine non plus d'entreprendre la danse votive du feu primordial. Le soleil n'est pas mort. Il n'a jamais existé. C'est ce que l'on appelle l'espoir. Fallen Life la vie nous est tombée dessus comme la nielle dans un champ de blé, comme la mort sur un cimetière. Les voix se sont tues à jamais. Plus de plaintes, plus de de menaces. Nous avons triomphé. Nous sommes devenus un oubli objectal. Tous les objectifs sont atteints.

Musique de cataclysme. Crépuscule des hommes. Nakht frappe fort. Lot de consolation sur le disque : Le scarabée hexagrammique de l'immortalité, le triomphe des insectes. Quinze minutes pour apprendre à survivre en devenant insectivore. Le secret des Dieux en barres chaucolocaustées empoisonnées. Prémonition de la catastrophe à venir. Guerre du feu nucléaire posthistorique. Oreilles fragiles s'abstenir.

N'a qu'à acheter. Nakht.

Damie Chad.

 


FALLEN EIGHT / RISE & GROW

REBORN / COME FROM THE SKY / FINAL SHOT / BREATH OF THE AGE / LIGHT / WORST NIGHTMARE

Clem : vocals / Medy : lead guitar / Joffrey : bass / Florian : guitar / JP : drum

a9395falleneight.jpg

Pochette comme une main tendue au néant. Parmi le chaos des étoiles la rosée se dépose sur la fleur miraculeuse. Poussez et croissez. Ainsi parle Fallen Eight. Sur le volet intérieur, l'effigie des apôtres de la bonne nouvelle. Celle de la germination aristotélicienne qui assure les mystères de l'advenue de l'Être. Taisent l'autre côté du décor, la corruption de toute rose en son déclin.

Reborn cri primal de l'enfant qui vient de naître. Rassurez-vous si l'avenir s'annonce radieux, l'accouchement s'est mal passé. L'enfant en porte les stigmates de la plus grande des violences. Parfois l'amour engendre des monstres. Fallen Eight c'est un peu wagnérien, la voix qui hurle que tout est beau et les leitmotives des orages désirés qui hantent la musique. Come From The Sky tout ce qui tombe du ciel n'est pas obligatoirement bon. L'est des bébés dragons qui deviennent insupportables dès qu'ils grandissent. Tout est dans la façon d'entrevoir les choses. L'explosion atomique à moitié réussie ou à moitié ratée. Dans les deux cas, c'est volontairement catastrophique. Final Shot parfois il ne faut pas hésiter. Faut tuer le chien avant que sa morsure ne vous enrage. Une seule balle suffit. Mais débat de conscience en votre âme corrodée par les illusions des prophéties ambigües. Musique pressante et oppressante. Dialogue partitif de guitares. Les voix se sont tues. Mélodies du bonheur empoisonnées. Breath Of The Ages déferlement des âges anciens dans votre âme vous aboyez comme un chien sous la lune louvienne et solitaire. Sans doute y a-t-il quelque chose à dire, mais encore faut-il savoir quoi. Crier ne suffirait-il pas ? Fallen Eight s'emballe. Hurlements et tambours de la colère. Restez seul avec votre solitude. Vous ne pourrez jamais être en plus mauvaise compagnie. Light La lumière est au bout du chemin comme la terreur au bout de la nuit. La clarté n'est que l'envers de l'obscurité. La distance entre les deux est millimétrique. Un pas sur le côté et la lumière vous aveugle, la nuit reposera votre vue. C'est ainsi que les aveugles deviennent voyant. Inversion des valeurs ? Worst Nightmare le pire est toujours certain. Mais c'est sur le fumier de la décomposition qu'éclosent les plus belles fleurs. Un monde pétri de brutalité décompositoire engendre le plus doux des parfums. Fallen Eight emprunte la voie sèche, celle qui allie la plus véloce des rapidités à la plus grande efficacité. La grande déferlante du limon régénérateur.

Une voix magnifique, les orgues de la tendresse et la philharmonique de la rébellion. Théâtralité extrême du choc émotionnel. Servie sur le coussin rugueux d'une orchestration sans défaut. Beauté parfaite. Roses carnivores aux épines acérées et cancéreuses. A cueillir sans retenue.

Damie Chad.